Histoire de Dieu à un coin de rue by Francisco González Ledesma

Histoire de Dieu à un coin de rue by Francisco González Ledesma

Auteur:Francisco González Ledesma [Ledesma, Francisco González]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Littérature espagnole
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 1991-03-14T23:00:00+00:00


XX

L’HOMME À LA CHAISE ROULANTE

Galán sortit de l’immeuble, scruta la rue et constata que personne ne faisait particulièrement attention à lui. Aussi se dirigea-t-il d’un air tranquille, aucunement troublé, vers la Plaza de las Cortes, d’où il descendit sans se presser jusqu’au labyrinthe de la Glorieta de Neptuno et du Paseo del Prado. S’il avait eu un peu de temps devant lui, il serait allé à pied jusqu’à un de ces bistrots d’Atocha dont l’ambiance n’avait pas changé dans les trente dernières années, du moins l’espérait-il, mais l’heure pressait. Il prit donc un taxi non loin de la Plaza de Cibeles et se fit conduire à la Plaza de la República Argentina – un Madrid paisible, où piaillaient encore quelques moineaux réchappés du dernier recensement. De là, il regagna la Castellana et prit un autre taxi, pour gagner sa destination finale. Presque finale : il se fit déposer à une station d’autobus de l’endroit où il allait vraiment.

C’était dans la Calle Mayor. Les bijouteries semblaient avoir conservé les derniers fastes – sous forme de couverts laissés en gage – de la dynastie des Habsbourg. D’anciennes maisons de blanc proposaient literie pour la gamine, linceul pour la vieille, linge d’espérance pour la fiancée, linge de première nuit, linge de premier sang et peut-être, au fond du magasin, loin de la lumière, linge de premier bâillement, de première larme, voire de première perfidie. On voyait également des magasins d’articles militaires, dans ce pays où l’on ne voit plus les militaires dans la rue, ce pays de sabres cachés (mais bien luisants), avec médailles posthumes et étoiles qu’aurait dû coudre la fiancée, mais la fiancée n’était plus là, d’ailleurs sut-elle jamais coudre ? Galán passa devant une vitrine où un châle de Manille exhibait son passé, sa nostalgie, son défi chantonnant de femme brune et lascive. Il entra sous un porche large et solennel, de pierre à l’extérieur et céramique à l’intérieur, avec une lampe de bronze à droite, à gauche une loge évoquant une guérite de la Garde civile. Il grimpa les marches de l’escalier (rampe de fer forgé jusqu’au premier étage, puis main courante de taverne).

Ce fut l’homme à la chaise roulante, lui-même, qui lui ouvrit la porte du second. L’homme à la chaise roulante avait une allure baroque avec sa jaquette, son foulard, sa petite perruque et son monocle. Plus personne ne portait de monocle à Madrid, se dit Galán, à moins de vouloir examiner un objet qui en valût vraiment la peine, par exemple l’hymen d’une bonne sœur. Mais, en dépit de cette allure baroque, de cette chaise roulante, de cette petite perruque, en dépit de l’âge et de l’adversité immense (« tous les attributs virils tombés pour toujours », pensa Galán), l’homme paraissait décidé et énergique, à chaque instant sur le point de décrocher le téléphone pour hurler à son conseiller financier de surveiller le cours du yen. (Pourquoi pas du yen ? Galán, souvent amené à passer des heures et des heures dans les salles d’attente des



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.